Notre premier hangar
La situation au début 1989
Depuis que nous avions quitté Amboise-Dierre et que nous avions créé l’association vol à voile Léonard de Vinci (AVVLV), nous étions hébergés par des amis. C’est tout d’abord le club vol à voile de Saumur qui nous accueille pour la saison 2008. Puis au début de l’été nous nous rapatrions à Sorigny en effectuant notamment un double remorqué d’anthologie : Michel en Bijave, Natacha dans l’Espadon et moi dans le Rallye. Long, très long le décollage ! Long, très long le vol !
L’aéro-club de Touraine vient d’hériter grâce à l’activisme de son président d’un énorme hangar militaire dans lequel était logé l’hélicoptère de la gendarmerie. L’appareil a rejoint la base aérienne laissant les locaux inoccupés. Par pure gentillesse et camaraderie aéronautique, mais surtout parce que Michel est un pilier de l’instruction au sein de ce club, le conseil d’administration met, gracieusement il faut le souligner, le hangar à notre disposition. Le district aéronautique nous autorise à décoller les planeurs le matin pour rejoindre notre base du Louroux et à rentrer le soir après les vols avions et ULM. Ces manips nous vaudront quelques déboires comme des retours à la nuit avec un atterrissage dans le champ précédant la piste ou encore sous orage en quasi-IMC, le pilote du Marianne, moi en l’occurrence, suivant jusqu’en finale le remorqueur piloté par Michel ! pendant ce temps, ma cousine Annie, en place avant s’émerveillait de voir les gouttes de pluie rebondir sur les ailes et s’enthousiasmait de la musique que ces gouttes faisaient !
Nous savons cet accueil limité dans le temps et depuis la création de notre association et celle de la piste, je cherche des aides financières capables de nous permettre la construction d’un hangar. Dans un premier temps je trouve le constructeur fort sympa qui va nous autoriser quelques arrangements dans la facturation et les paiements. Je ne cesse de harceler la FFVV et son secrétaire général, Yves, afin de voir notre club prioritaire absolu sur la ligne des subventions nationales.
Un rendez-vous à la FFVV
Je suis reçu un jour par le président et le secrétaire général au 29 rue de Sèvres à Paris, où était alors le siège de la fédé. Je suis introduit dans le bureau du fond, là où j’œuvrerais plus tard pour l’ANEPVV. Yves, le directeur de la fédé et le président discutent devant moi de l’achat d’un DR 400, remorqueur équipé IFR, afin de sécuriser les déplacements du staff ! L’engin vaut entre 600 et 700 000 Frs ! Comme je viens les voir pour une enveloppe de 250 000 Frs, je me dis que mon affaire va passer comme une lettre à la poste. C’est qu’à l’époque je ne connais absolument pas les arcanes fédérales, ni les possibilités financières de notre fédé.
Les dirigeants se tournent vers moi. Je fais compte-rendu de où nous en sommes : nous avons créé notre association, nous sommes une quarantaine de membres, nous avons acheté nos champs sans demander un sou à la fédé, nous les avons transformés en une piste d’aviation qui nous convient bien, toutes les démarches administratives ont été effectuées. Nous volons à partir de notre aérodrome. J’explique également l’hébergement des planeurs par Sorigny et les manips matin et soir… De plus il nous faut quitter le hangar de Sorigny très rapidement, car l’Aéro-club de Touraine souhaite après un an de prêt, en tirer bénéfice ce qui est des plus logiques.
Avec de grandes circonvolutions, président et secrétaire général m’expliquent que la FFVV n’a pas d’argent, que les subventions nationales sont orientées vers des clubs à forte assise, et que… mille raisons plus foireuses les unes que les autres qui cachent une vérité : la FFVV craint notre aventure ! Je me bats un temps argumentant avec force conviction : nous sommes le seul club français en création, nous avons acheté les terrains, nous nous battons comme des fous. J’espère bien trouver appui à la fédé. Mais je ressens l’hostilité au projet, surtout les doutes sur la réussite de notre entreprise jugée aventureuse et je ressens surtout combien la décision était prise bien avant que je n’entre dans le bureau.
Alors devant un ultime refus, je ne dis plus un mot, me lève salue président et directeur qui me prie de ne pas quitter la pièce et m’en vais. Je rejoins ma voiture dans le parking Sèvres-Babylone. Au moment où je mets la main sur la poignée de porte, Alain le conseiller technique régional de la région Centre surgit devant moi :
- ne pars pas, Jean-Pierre, sinon tu casses tout !
- La messe est dite; j’ai senti combien la décision était arrêtée, c’était non d’avance ; je n’ai pas de temps à perdre avec des clowns qui prennent les décisions avant d’entendre les arguments ; je vais me dem… !
Mais je ne sais fichtre pas comment. Je le salue et monte dans ma voiture. Je quitte Paris.
Le soir même Alain m’appelle à la maison : « Jean-Pierre, j’ai une bonne nouvelle, la fédé va t’aider. Elle recherche une solution pour t’apporter 200 000 Frs. » J’objecte que le hangar en vaut près de 320 000 Frs. Nous négocions à 250 000 Frs. Quand ? Le plus tôt possible.
- Je peux lancer la construction ?
- Surtout pas ! Tu dois attendre que l’argent soit mis à ta disposition ! Si tu construis avant, tu perds la subvention.*
- Nous devons quitter Sorigny le 30 juin !
- Ce sera trop court ! Il te faut attendre septembre, octobre.
- Je ne peux pas, je construis.
La perte de la subvention
Michel et moi expliquons à notre constructeur la situation. Il tire le prix en modifiant le devis. Par exemple nous ne ferons pas de sol qui restera en terre battue. Il accepte également d’être payé en septembre, octobre. Adorable ! J’emprunte à nouveau un petit complément à la banque. Le hangar nous est livré mi-juillet et nous prenons possession des lieux : un hangar agricole flambant neuf de 750 m² suffisant pour abriter nos machines de l’époque : deux Bijaves, un Javelot, un Espadon, un Squale et un Pégase. S’ajoute à cela le remorqueur « prêté » par la FFVV avec promesse d’achat et mon Pégase personnel neuf lui aussi. Les « bureaux » sont hébergés dans la caravane personnelle que Michel met à la disposition du club, dans le coffre de sa voiture et dans le mien !
Mais l’histoire serait bien trop simple et ne peut se terminer là !
Début septembre je m’enquiers de la date d’arrivée de l’argent. La fédé reste évasive ! Mi-septembre, lors d’un de mes déplacements à Paris, je me rends au 29 rue de Sèvres. Yves reste très évasif. Il semblerait que le ministère tergiverse, il ne comprend pas ce qui se passe… mais il est terriblement confiant et il me demande de lui faire confiance ! Je rétorque que, malheureusement, je ne paie pas mon hangar avec de la confiance.
Une fois à Tours, je parle à quelques amis, bien placés, de mes doutes sur la subvention. D’autre part, j’explique très clairement la situation au
constructeur en lui donnant ma parole de le payer avant fin octobre, ce qu’il accepte. J’explique également l’affaire à mon directeur des associations au Crédit Mutuel, celui-là même qui a accepté de prêter l’argent nécessaire à l’achat des terrains.
Quelques jours plus tard, l’un de mes « amis » me rappelle pour me dire :
- Tu as bien senti les choses. Tu n’auras pas ta subvention cette année. Tu la toucheras en mai ou juin 1990.
- Que se passe-t-il ?
- Brian Speckley, champion du monde de vol à voile, a convaincu la mairie du Blanc de créer l’European soaring club, sur son aérodrome. Comme le maire du Blanc est le suppléant de Madame Cresson, premier ministre en exercice, celle-ci a demandé au ministère d’attribuer à la ville du Blanc les aides promises aux clubs du Louroux et de Limoges. Elle a également demandé à la FFVV de réserver les aides 1990 aux deux clubs spoliés en cette année 1989. Pour la petite histoire, ce club européen doté de hangars neufs aux portes électriques, au sol « ciré », existera le temps d’un printemps !
Bien entendu, je ne peux demander un troisième report de paiement à mon constructeur. La fédé me renvoie dans mes buts, car je ne devais pas construire avant de disposer de l’argent. Mais comment faire autrement ? Le directeur des associations du Crédit Mutuel affirme qu’il ne me laissera pas tomber, mais qu’il aimerait autant que je me débrouille sans la banque, car il a déjà pris des risques avec nous. Au moins avec lui les choses sont claires et précises !
Sauvé par l’ANEPVV
J’entends parler de l’ANEPVV, l’Association Nationale d’Entraide et de Prévoyance du Vol à Voile. Je prends rendez-vous avec son président Marcel Juillot, également vice-président de l’aéro-club de France.
C’est dans les locaux prestigieux du 6 rue Galilée, dans le huitième qu’il me reçoit. Marcel que j’appelle, comme on me l’a conseillé, mon colonel, est fort affable. Il m’explique le système très astucieux qu’il a créé. Les clubs cotisent à l’ANEPVV pour « assurer casse » leurs matériels. Si le coût de la casse est inférieur à un certain seuil (35 000 € en 2017) alors le club prélève le prix de la réparation sur son compte. Si la réparation excède ce premier seuil sans dépasser le second (60 000 € en 2017) alors le club bénéficie en plus de la solidarité nationale, car le colonel a prévu un compte commun à tous pour lequel les gros clubs cotisent mécaniquement davantage que les petits. Enfin un contrat d’assurance groupe chapeaute le tout jusqu’à 180 000 € (en 2017) chaque club cotisant, à ce contrat groupe dès lors que le prix de ses machines dépasse le second seuil.
Nous déjeunons à l’aéro-club de France. Salle de restaurant incroyable de classe. Les serveurs sont en habits et gants blancs. Nous bavardons aimablement. Sous des dehors abrupts Marcel est un sentimental. Je découvre au cours du repas son plaisir à aider les clubs lorsque la fédé refuse ou ne peut tout simplement pas faire. J’apprendrais plus tard le petit contentieux de Marcel avec la FFVV qui l’a envoyé promener lorsqu’il a créé son association. Il le fera en créant, sur ses fonds propres, le fond de roulement. Irritant lorsque 80 % des clubs français pensent désormais qu’ils auraient disparu si l’ANEPVV n’existait pas ! Mais la fédé de l’époque était véritablement visionnaire !!!
À la fin du repas, Marcel très solennel me dit :
- président, je vais vous dire immédiatement quelle décision j’ai prise. Le conseil d’administration me suivra. Je vais vous aider, car j’aime ce que vous faites, les risques que vous prenez, votre dynamisme. J’ai confiance en vous. Combien vous faut-il ? 250 000 Frs, je crois. Vous les avez.
- Pardonnez-moi, mon colonel, quand pourrais-je en disposer ?
- Pour quand vous les faut-il ?
- Fin septembre ?
- Je mets au point notre accord dès cette fin de semaine. Demain, je vous adresse le chèque. Ça vous va.
- Merci mon colonel. Vous nous sauvez ! Merci, infiniment merci.
- L’ANEPVV est là pour ça.
Tu ne peux pas savoir, cher Marcel, la délivrance que tu m’as apportée ce jour-là. J’ai le souvenir précis de la salle où nous étions, du café que je portais à mes lèvres, du goût délicieux de ce café lorsqu’enfin, lorsque tu as fini ta phrase, j’ai pu en avaler une gorgée. Quelle libération ! Si j’avais pu, je t’aurais sauté au cou ! Mais nous en étions encore à « mon colonel » et à « monsieur le président ». J’ai conservé longuement l’habitude de t’appeler mon colonel adoptant le monsieur Juillot en travaillant avec toi comme secrétaire général de l’ANEPVVV puis le Marcel peu de temps avant de te voir quitter la présidence de ton œuvre. Quant au tutoiement il n’est véritablement venu que fort peu de temps avant ta disparition et seulement parce que cela semblait te faire plaisir.
Dès que je suis sorti de Paris, je saisis mon téléphone de voiture et préviens Michel qui exulte de joie. Jean-Paul le trésorier est lui aussi très heureux. J’appelle également le directeur des associations du Crédit Mutuel. Il est satisfait de ne pas avoir à intervenir, mais je le sens également, surtout très heureux pour nous.
La mise au point du dossier fut simple : tous les clubs de la région Centre ont garanti le prêt souscrit par notre club en acceptant qu’un accident soit imputé sur leurs comptes au cas où nous ferions défaut. Tous ? Sauf un, celui de Romorantin, qui a refusé tout net de nous aider espérant bien récupérer les vélivoles de Tours ! Et pourtant… Plus grand sera le nombre de clubs existants et plus le vol à voile se développera en France. Le vol à voile n’a-t-il pas besoin de se développer ?
Toujours est-il qu’après cette formidable décision du colonel Marcel Juillot,
L’aventure continue !